08/04/2015
Place de la Cathédrale (ancienne collégiale Saint-Paul)
Cet article ne traitera pas de l'intérieur de la cathédrale Saint-Paul, ni de son précieux trésor artistique. Il s'intéresse essentiellement aux origines de l'édifice et à l'évolution de la place qui lui doit son nom.
Schéma emprunté au site Le Cercle médiéval.
Au cœur de l'île que délimitent les bras de la Meuse, il existe depuis probablement l'époque de saint Hubert (à l'emplacement n°7 du plan ci-dessus) une chapelle dédiée à saint Calixte, pape et martyr du IIIe siècle. C'est Éracle, évêque de Liège de 959 à 971, qui décide de remplacer cet oratoire par une collégiale consacrée à l'apôtre Paul*.
* La légende voudrait que Dieu lui-même (d'aucuns disent saint Paul en personne) ait indiqué à l'évêque fondateur l'emplacement et les dimensions de l'édifice, en faisant tomber, en plein juillet, une neige miraculeuse qui aurait recouvert toute la région à l'exception d'un espace de terrain bien délimité.
Entrepris dès 966, le chantier n'est guère terminé à la mort d'Éracle et se prolonge sous le règne de son successeur Notger, qui la confie à un chapitre de trente chanoines. Il ne subsiste pratiquement rien de cette église romane d'origine (sauf une cave voûtée sous les sacristies), et aucune archive ne permet de s'en faire une idée.
L'église romane a-t-elle été endommagée en 1212 lors du sac de Liège par les troupes brabançonnes ? Quoi qu'il en soit, au milieu du XIIIe siècle débute la construction d'un nouveau sanctuaire. Construction qui durera jusqu'au XVIe siècle, avec parfois de longues périodes d'interruption, ce qui explique que la collégiale Saint-Paul présente une gamme complète de l'architecture gothique, de l'ogival primaire au flamboyant.
Liens externes intéressants :
http://tresordeliege.be/2012/03/08/cathedrale-saint-paul
http://www.chokier.com/FILES/STPAUL/Saint-Paul-Hendrix.html
Cette gravure de Julius Milheuser présente l'état des lieux au milieu du XVIIe siècle. Identifions la collégiale Saint-Paul (1) et le Vinâve d'Île* (2), entre le pont d'Avroy (3) et le pont d'Île (4). L'imposante cathédrale Saint-Lambert (voir autre article) se trouve à l'emplacement de l'actuelle place du même nom.
* Le mot « vinâve » est une expression typiquement régionale qui désignait au départ une agglomération de maisons, un quartier ; par la suite, il s'est appliqué à la rue la plus importante d'un quartier.
La gravure ci-dessus, œuvre du dessinateur spadois Remacle Le Loup, montre la collégiale Saint-Paul dans les années 1730. Remarquons le clocher inachevé, qui se limite à une tour basse, arrêtée au niveau de la grande nef et surmontée d'une petite construction où se trouvent les cloches.
À la suite des événements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle et de l'entrée à Liège des troupes républicaines françaises, la collégiale est pillée et transformée en halle de boucherie, tandis que les cloîtres servent d'écuries. Les biens sont confisqués et une partie du mobilier est vendu aux enchères. L'ensemble des bâtiments échappe même de peu à la démolition.
Grâce au concordat de 1801, le premier consul Bonaparte apaise la crise qui oppose l'État et la papauté. En 1802, le diocèse de Liège est réorganisé, et le nouvel évêque, Mgr Jean-Évangéliste Zaepffel, choisit Saint-Paul pour cathédrale, décision officialisée en mai 1803.
La cathédrale Saint-Paul au début du XIXe siècle. C'est en 1811-1812 qu'on a surélevé la tour d'un étage aux fenêtre ogivales, le tout surmonté d'une flèche octogonale qui atteint presque nonante mètres. Quatre clochetons ont été ajoutés aux angles pour rappeler la magnifique cathédrale Saint-Lambert. La place s'appelle alors la place Saint-Paul (ou la place Devant Saint-Paul)*. Les tilleuls ont été plantés en 1716, pour agrémenter le lieu qui jusque-là avait l'aspect d'un pré.
* La place Saint-Paul actuelle s'appelait autrefois la place Derrière Saint-Paul.
Remarquons, sur cette photo contemporaine, que l'étage de la tour présente une autre coloration que le reste de l'édifice : on a fait usage, lors de sa construction en 1811-12, de pierres de sable issues de l'ancienne cathédrale Saint-Lambert, toujours en ruines à l'époque.
Cette aquarelle de Joseph Fussell montre la place Saint-Paul avant 1846 (année des premières expropriations en vue du percement de l'actuelle rue de la Cathédrale). Le monument entouré d'une grille, à l'avant des tilleuls, est la fontaine de la Vierge à l'Enfant, installée là depuis 1696*. Son appellation lui vient de la statue de bronze doré qui surmonte le monument de marbre, statue représentant la Vierge Marie tenant l'enfant Jésus, œuvre baroque commandée en 1695 à l'illustre artiste liégeois Jean Delcour (ou Del Cour). Quatre lions de bronze complètent l'ornementation du bassin. Nous verrons plus loin qu'il ne s'agit pas tout à fait de la fontaine que nous connaissons actuellement.
* En remplacement d'une fontaine dite du Perron, déjà citée en 1584 et endommagée depuis 1659.
Dès 1794, sous l'occupation française, le groupe statuaire de la fontaine est menacé d'être fondu pour servir à la fabrication de canons. La « femme Marie » et les quatre lions échappent à ce triste sort grâce aux protestations de la municipalité et des citoyens. La fontaine est sauvée, mais mal entretenue, elle aborde le XIXe siècle dans un état de délabrement préoccupant.
Le plan ci-dessus nous reporte au début des années 1820, sous le régime hollandais. Le trait bleu représente l'alignement ininterrompu de maisons depuis le pont d'île jusqu'à la rue de la Sirène. En 1822, l'architecte Dewandre propose la création d'une rue (la flèche rouge) depuis la place Devant Saint-Paul (1) jusqu'aux abords de l'université (2)*. En 1824-25, le conseil de Régence** préfère l'ouverture d'une voie de communication (la flèche verte) depuis le Vinâve d'Île jusqu'à la place Saint-Denis (4) et la rue Sur Meuse (5). Cette voirie sera pratiquée « à travers des terrains où l'on ne voit que des masures tombant en ruines et d'anciens lits de rivière qui forment un cloaque infect » (3)*** ; il est prévu qu'on l'appellera la rue de la Cathédrale.
* Le même architecte propose aussi la création, à cette époque, de la rue de l'Université.
** Le conseil de Régence, sous le régime hollandais, est l'équivalent du conseil communal.
***L'actuel boulevard de la Sauvenière était autrefois un bras de la Meuse qui, après le pont d'Île, se divisait en de multiples ramifications (voir autre article).
L'absence de moyens financiers retarde le projet d'une vingtaine d'années. Il faut attendre 1846 pour qu'aient lieu les premières expropriations ; l'hôtel de Laminne, importante maison de maître du XVIIIe siècle, est démolie en 1847, là où la rue de la Cathédrale va déboucher dans la place Devant Saint-Paul, en vis-à-vis de la rue Pont d'Avroy.
La rue de la Cathédrale est ouverte en 1853. Totalement achevée en 1879 au niveau des habitations et commerces qui la bordent (la photo ci-dessus date de 1899), elle est considérée pour une des plus belles et luxueuses artères de la ville.
Vers 1850, l'architecte Jean-Charles Delsaux* entreprend la restauration de la façade nord de la cathédrale. Il lui confère davantage d'élégance, mais tous les éléments d'ornementation dont il la surcharge ne correspondent plus avec la simplicité d'origine du bâtiment.
* Jean-Charles Delsaux, à la même époque, est chargé de réaliser la façade occidentale du palais provincial (voir autre article).
En 1853, la place Devant Saint-Paul est privée de ses tilleuls parce qu'ils empêchent de bien voir l'édifice religieux qu'on vient de rénover. Il est même question de la paver et d'installer en son centre la fontaine de la Vierge qui nécessite par ailleurs d'être renouvelée.
En 1854, la fontaine de la Vierge (que beaucoup de Liégeois appellent aussi la fontaine aux lions) est reconstruite, non pas sur la place, mais plus en retrait dans le Vinâve d'Île, pour ne pas gêner la communication entre la rue du Pont d'Avroy et la nouvelle rue de la Cathédrale. La statue de la Vierge du XVIIe siècle repose désormais sur un monument en petit granit, selon les plans de l'architecte de la ville Julien-Étienne Rémont.
La carte postale ci-dessus date de 1890. La place porte officiellement le nom de place de la Cathédrale depuis 1863 (mais les Liégeois l'appelaient déjà comme cela depuis longtemps). Des immeubles d'habitation et de commerce ont remplacé les hôtels aristocratiques. Depuis 1870, le terre-plein central est « orné de squares verdoyants et fleuris ». À l'avant-plan, on aperçoit le socle qui supporte la Vierge à l'Enfant de Jean Delcour, laquelle a le regard dirigé vers la cathédrale.
Ci-dessus, le Vinâve d'Île vu depuis la place de la Cathédrale en 1890. Ci-dessous, zoom avant sur la fontaine de la Vierge en 1901, précédée d'une fontaine Montefiore :
Les fontaines Montefiore sont des fontaines publiques. Elles portent le nom de leur donatrice, Hortense Montefiore-Bischoffsheim, épouse de Georges Montefiore-Levi, industriel et homme politique liégeois.
En 1888, à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire, la Société protectrice des animaux souhaite installer à Liège des fontaines qui, en plus des jets d'eau pour les passants, permettraient aux animaux de s'abreuver (une vasque supérieure pour les chevaux et un bassin inférieur pour les chiens). Hortense Montefiore, connue pour sa générosité, va financer l'opération. Le conseil communal approuve le projet, et dix premières fontaines sont dressées l'année suivante, réalisées par la fonderie Requilé & fils de Liège. Dix autres suivront en 1891.
Les fontaines de la première série sont surmontées d'une figurine en bronze représentant une botteresse au repos, œuvre du statuaire Henri Beckers. Les dix suivantes (comme celle de notre illustration) sont ornées d'une porteuse d'eau due à Léopold Harzé. Ces statuettes ont été coulées à la fonderie des bronzes phosphoreux d'Anderlecht, société appartenant à la famille de la donatrice.
La fontaine Delcour et le Vinâve d'Île au cours des décennies :
À l'aube du XXe siècle.
Carte postée en 1914.
Dans les années 1920.
Dans les années 1930.
Dans les années 1950.
Avant que le Vinâve ne devienne piétonnier en 1976.
Le Vinâve piétonnier dans la première décennie du XXIe siècle.
Sur le panneau de bronze qui orne le socle de la statue, la ville de Liège est symbolisée par une femme qui tient le perron et que couronne un angelot.
Le Vinâve d'Île avec la cathédrale à l'arrière-plan :
En 1905.
Vers 1910.
Carte postée en 1920, mais vue peut-être prise à l'occasion de l'armistice de 1918 (vu le Vinâve pavoisé).
Dans les années 1930.
Dans la seconde partie des années 1950.
Dans les années 1960.
Au début des années 1970, avant la transformation en piétonniers du Vinâve d'Île et d'une partie de la place de la Cathédrale.
Approchons-nous de la place de la Cathédrale :
La place aborde le XXe siècle avec un terre-plein aux angles arrondis, agrémentés de parterres verdoyants et fleuris.
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La photo ci-contre montre les immeubles qui ferment le côté occidental de la place à la charnière des XIXe et XXe siècles. Plusieurs d'entre eux seront remplacés en 1912 par la Banque centrale de Liège, identifiée d'une flèche sur la photo suivante : |
Comparaison entre les années 1930 et la fin des années 1950. À vingt ans d'intervalle, on retrouve pratiquement le même décor floral.
Le côté oriental de la place au milieu des années 1930. À droite de l'alignement d'immeubles, s'ouvre un tronçon aujourd'hui disparu de la rue de la Sirène. Dès la fin de la décennie, cet endroit va subir de profondes modifications en vue du percement de la rue Charles Magnette. Cliquez ici pour accéder à un autre article spécifiquement consacré à ce sujet.
Au tout début des années 1950, l'angle de la rue Charles Magnette et de la place du Roi Albert (c'est son nom officiel à cette époque) attend la construction d'un building avec galerie commerçante. Comparons avec la situation en 2007 :
Retour en 1952. Cette fois, c'est le côté occidental de la place, à l'époque des trolleybus. Ci-dessous, les arrêts de bus en 1968, avec des abris chauffés :
Cette photo a été prise en 1977 pendant le chantier du parking souterrain et de l'immeuble qui abritera notamment la médiathèque de la Communauté française de Belgique, les bureaux du quotidien La Meuse et ceux de RTL (seuls ces derniers y sont toujours). Ci-dessous, le même endroit en 2007 :
Dans l'autre sens :
La place de la Cathédrale en 1899.
Cette carte postale des années 1920 est intitulée « place du Roi Albert ». La place de la Cathédrale a été rebaptisée ainsi en décembre 1918, pour rendre hommage à la conduite chevaleresque de notre souverain pendant la guerre 1914-18. La nouvelle appellation restera en vigueur plusieurs décennies, mais elle ne sera guère utilisée par la population, et le lieu retrouvera finalement son nom d'origine *.
* Les liégeois se contentent souvent de dire « place Cathédrale », et non « de la Cathédrale ».
Comparaison entre une vue de 1934 ▲ et sa correspondance en 2010 ▼
Revenons dans la première partie des années 1930.
Après 1937, on démolira les premiers immeubles visibles sur la droite de la photo ci-dessus, en prévision du percement de la rue Charles Magnette. Ci-dessous, le même endroit en 2006, photographié dos à la rue Saint-Paul :
Un char américain sur la place du Roi Albert lors de la Libération en septembre 1944.
La place du Roi Albert en 1958.
La place du Roi Albert et le Vinâve d'Île en 1961 ▲ ▼
La même perspective avant que le Vinâve d'Île ne devienne piétonnier en 1976.
Le chantier en 1977 de l'aménagement du parking souterrain.
Je possède un plan de Liège non daté, mais qui comporte une publicité pour une voiture produite de 1977 à 1980. En cette extrême fin des années 1970, la place de la Cathédrale s'appelait toujours la place du Roi Albert.
Dans les années 1980.
En 2013.
Du côté de la rue de la Cathédrale :
Vers 1900-1905.
Carte postée en 1915.
Depuis la rue du Pont d'Avroy en 1934.
Dans les années 1970.
En 2006.
Du côté de la rue Pont d'Avroy :
Au tout début du XXe siècle.
En 1975.
Depuis la rue de la Cathédrale en 1975 ▲ et 2006 ▼
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11:51 Écrit par Claude WARZÉE dans Place de la Cathédrale et environs | Tags : histoire de liège, place de la cathedrale, cathédrale saint-paul, collegiale saint-paul, place devant saint-paul, place du roi albert, rue de la cathedrale, rue du pont d'avroy, fontaine delcour, fontaine de la vierge, jean delcour, vierge à l'enfant, vinâve d'île, fontaine vinâve d'île, rémont, delsaux, vinave d'ile piétonnier | Commentaires (2) | Facebook |
Commentaires
Bonjour ,
c'est par un pur hasard que je découvre votre site .
ou j'y re-vie mon enfance ( j'ai 69 ans )
Merci pour cette belle entreprise
bien à vous
patrizia
Écrit par : Anna-Patrizia Colombo | 23/07/2015
Répondre à ce commentaireTrès bon souvenir d'un plein de charme et de sécurité
Un grand merci.
Écrit par : Marie de Laminne | 22/06/2016
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